Expérience

Désolé, vous n’avez pas assez d’expérience !

Non je ne vais pas vous parler de la difficulté des jeunes à trouver un emploi mais de l’expérience en magasin. Le mot est lâché. On ne lit et n’entend que ça aujourd’hui :

les magasins doivent proposer une expérience

Mais de quelle expérience parle-t-on ? Et est-ce une condition nécessaire et suffisante ?

Comme me disait dernièrement avec humour, Bertrand Jouin, consultant chez Dia-Mart :

« nager avec les requins dans un mall à Dubaï, ça oui c’est une expérience, mais qu’on ne me fasse pas croire qu’on va vivre une expérience dans chaque magasin !  Tous les retailers ne sont pas capables de proposer le même type d’expérience »

Alors bien sûr, dès qu’on parle d’expérience, on voit grand, on pense à ces flagships majestueux des grandes métropoles :

Le 1er qui me vient à l’esprit c’est Globetrotter, le magasin de sport et loisirs à Cologne en Allemagne qui, depuis 2007 déjà, vous permet d’essayer, sur 7000m2 et 4 étages, la plupart des produits en conditions réelles : un vrai bassin pour tester canoé, kayak, matériel de plongée, une chambre froide, des murs d’escalade…

On peut également évoquer le magasin de jouets Hamleys : certes, on pourrait se dire que c’est simplement un grand magasin à l’ancienne mais les démonstrations permanentes des vendeurs et les différents événements lui donnent ce supplément d’âme qui donne envie de flâner et d’acheter.  C’en est même devenu une visite touristique incontournable de Londres.

Les marques ont bien compris aussi la puissance d’un concept store inédit : ainsi on pense au Légo store où le fait de pouvoir jouer, personnaliser ses produits, faire son autoportrait en mosaïque ou simplement admirer les gigantesques constructions en briques créent un lien fort entre le client et la marque.

C’est le cas aussi pour le concept store de M&M’s qui ne propose rien d’autres qu’un mur géant de ses confiseries ainsi que des produits dérivés mais avec une telle maîtrise du merchandising que ça marche !

flagships Globetrotter - Hamleys - M&M's - Lego

On pourrait multiplier les exemples mais ces flagships restent des flagships et ne sont pas le commerce de notre quotidien, même si l’on peut/doit s’en inspirer bien sûr.

D’ailleurs, en France, on peut saluer la réussite de Nature & Découvertes, qui, inspiré de l‘américain The Nature Company, a été très en avance sur son temps (1990) et a su s’imposer dans notre quotidien en proposant un concept-store expérientiel et sensoriel.

Je crois que lorsqu’on parle d’expérience magasin, on veut surtout dire que

le magasin doit apporter une valeur ajoutée par rapport au site internet

Le magasin doit donner envie aux clients de se déplacer : si le magasin n’offre rien de plus que le site alors à quoi bon ?

Parfois, on fait des raccourcis en disant que le site marchand fait du transactionnel et que le magasin doit faire de l’émotionnel. Je crois qu’il faut être plus nuancé : le site internet peut aussi être inspirationnel et le magasin doit aussi être excellent sur la partie transactionnelle sinon l’émotionnel en pâtirait.

Ainsi on peut distinguer différents types d’expériences apportées par les magasins :

1) Essayer, tester, sentir les produits

c’est en effet la principale raison d’aller en magasin pour 71% des Français (étude MoodMedia 2017)
De plus en plus d’enseignes l’ont maintenant bien compris à l’instar des enseignes reines en la matière Leroy Merlin, Boulanger ou Décathlon

Test produits Leroy Merlin - Boulanger - Décathlon

On peut aussi évoquer l’enseigne de cosmétiques naturels & éthiques Lush où l’on peut tester tous les produits, et même se faire faire un shampoing !

Test cosmétiques chez Lush
Test cosmétiques chez Lush – Source Photo Volcan Design

 

2) Obtenir des conseils d’un vendeur

C’est une des attentes qui revient souvent lorsqu’on interroge les clients sur leur critère de choix d’un magasin vs un site e-commerce. Mais les consommateurs étant devenus experts grâce à internet lorsqu’ils font des achats, ils sont très exigeants et réclament non seulement, une vraie expertise mais aussi un accueil personnalisé.

Dans ce cas-là, le digital peut aider avec les tablettes ou applis vendeurs qui permettent d’enrichir la relation en permettant non seulement d’avoir des informations supplémentaires sur tous les produits de l’enseigne, d’avoir accès à une offre élargie (dans le cas où tout ne peut être présenté physiquement en magasin) comme chez le précurseur Apple ou Fnac/Darty, Décathlon, Cultura mais aussi d’avoir des informations sur le client (historique d’achat, fidélité…) comme chez Sephora.

3) Apprendre, se former

Cours de bricolage Leroy Merlin
Cours de bricolage Leroy Merlin
Cours de bricolage chez Castorama
Cours de bricolage chez Castorama

Les magasins de bricolage proposent depuis longtemps des cours pour apprendre à bricoler : outre le fait que cela permet aux clients de se servir des produits vendus par l’enseigne, de les rassurer quant à leur utilisation et donc de les inciter à les acheter, cela crée un lien fort avec la marque : « grâce à X j’ai réussi à poser un parquet ! », la marque entre ainsi dans le quotidien des clients, les accompagne dans leurs projets de vie. Et souvent cela fait des clients, des ambassadeurs de la marque qui ne manqueront pas de parler de leur réussite grâce au cours dispensé par l’enseigne.

 

Ateliers Cultura
Ateliers Cultura

Cultura en a aussi fait un atout de son expérience client : les ateliers de loisirs créatifs ainsi que les cours de musique ou artistiques ont permis à l’enseigne de se positionner en leader du secteur et de se différencier sur autre chose que les produits culturels sur lesquels elle était en concurrence frontale avec la Fnac.

Ateliers Zodio
Ateliers Zodio

Les ateliers culinaires et loisirs créatifs sont également le point fort de l’enseigne maison Zodio

 

 

Ateliers Apple
Ateliers Apple

Apple avec son programme « Today at Apple » propose aussi depuis longtemps des mini ateliers de découverte et d’utilisation de ses produits

 

 

4) Avoir accès à des services ou prestations dédiés

L’idée est de proposer des services ou prestations en relation avec les produits vendus, le tout créant un univers dédié.

Apple fut là aussi un précurseur en la matière en proposant dans ses stores le genius bar, SAV ou assistance produit sans rdv (ou presque) dans une ambiance cosy et informelle dédramatisant éventuellement le problème technique.

Depuis longtemps aussi, les magasins de cosmétiques proposent des services de manucure, maquillage express à l’instar de Sephora avec ses multiples « bars à… »

Depuis peu, Primark commence à proposer des services « beauté » (maquillage, coiffure, manucure) à prix discount en cohérence avec son positionnement

Et aussi H&M dans son dernier flagship de la rue Haussmann à Paris avec son atelier de réparation textile

Services dédiés Apple - Sephora - Primark - H&M

Dans la déco, on aurait pu imaginer plus d’initiatives des enseignes pour mettre en place des coach déco pour aider les clients mais finalement à part dans quelques enseignes plutôt moyen/haut de gamme on n’en trouve pas. Malgré tout, c’est un sujet qui intéresse les marques si l’on en croit les quelques propositions événementielles en la matière (BHV, Alinéa) ou le sondage récent de But :

Sondage But Coaching Déco
Sondage But Coaching Déco

« Et si BUT vous proposait un coaching déco pour vous accompagner dans vos projets… Comment l’imagineriez-vous ? »

 

 

Coaching Déco Leroy Merlin
Coaching Déco Leroy Merlin

 

Mais c’est finalement encore du côté de Leroy Merlin qu’il faut regarder puisque l’enseigne propose non seulement un outil en ligne mais également des ateliers en magasin.

 

 

 

5) Se divertir

Il y a quelques années, on parlait beaucoup du retailtainment, croisement du retail et de l’entertainment. En la matière, Fnac fut précurseur en proposant des show cases et des dédicaces en magasin

Ateliers IdKids
Ateliers IdKids
Atelier Pikwic
Atelier Pikwic

A la croisée du test produit, de l’apprentissage et du divertissement, il y a les ateliers pour enfants qu’on retrouve dans les enseignes de jouets IDkids ou Picwic. Et s’il y a bien un secteur où il faut que le magasin offre plus qu’internet c’est bien celui du jouet où non seulement la concurrence du ecommerce est importante sur des produits comparables (cf difficultés de Toys ‘r’Us et LA Grande Récré) mais aussi parce qu’il y a dans le jouet une forte dimension affective et émotionnelle

 

Initiations Décathlon
Initiations Décathlon

Egalement  à la croisée des chemins, Décathlon propose des activités pour découvrir et s’initier à différentes pratiques sportives, de quoi tester les produits, occuper son temps libre et s’amuser.

 

6) Profiter d’une ambiance

Le magasin doit devenir un lieu de vie où l’on a envie d’aller même sans besoin d’acheter, juste pour profiter d’un endroit sympa, chaleureux. D’après l’étude Retailoscope d’Odoxa : 

23% des français déclarent aller dans les centres commerciaux  juste pour flâner ou avoir un moment de convivialité en famille ou entre amis (et même  33 % chez les 18-24 ans).

Proposer un restaurant ou un café est ainsi un moyen de permettre à ses clients de faire une pause pendant ses achats, de donner rdv à ses amis et pourquoi pas devenir un véritable lieu de destination.

Dans le commerce alimentaire ça semble être une évidence ainsi maintenant la plupart des concepts de centre-ville proposent un coin resto/café (Monoprix, Franprix et dernièrement Biocoop qui a ouvert un bar éphémère)

Pour l’enseigne c’est aussi un moyen de faire rester plus longtemps le client dans son magasin.

Le fondateur d’IKEA, Ingvar Kamprad,  raconte qu’il a mis le restaurant à la fin du parcours meuble pour permettre aux clients de réfléchir à tête reposée (et estomac rempli !) aux meubles qu’ils venaient de voir et ainsi être plus enclins à prendre une décision d’achat.

La cuisine servie au restaurant permet aussi d’appuyer le positionnement de l’enseigne : les origines suédoise dIKEA vs les origines provençales d’Alinéa.

Il permet également de mettre en scène ses produits et donner envie de les acheter : ainsi chez Alinéa par exemple, outre le mobilier issu de l’assortiment bien sûr, on trouvera la vaisselle utilisée pour le service en salle le ainsi que les produits de l’épicerie gourmande en vente dans le restaurant.

 

On pourrait multiplier les exemples car, pour donner envie aux clients de se déplacer en magasin, de plus en plus, les enseignes innovent et proposent de multiples services à valeur ajoutée. Et elles ont plutôt intérêt à le faire si l’on en croit cette étude de l’Observatoire Cetelem sur les millénials (18-34 ans) et les magasins :

« Les magasins devront bannir toute forme de standardisation et être bien plus que de simples points de vente mais des lieux d’expérience : festive/ludique/sensorielle/surprenante (61% pour les 18-34 contre 52% pour les 35 +), avoir des espaces de détente (52% contre 42%), des activités de loisirs complémentaires à l’activité du magasin (53% contre 41%) » 

Et on commence à voir apparaître de plus en plus de concepts de magasins mixtes, dits tiers-lieux, où l’on peut y faire différentes choses, pour optimiser son temps ou tout simplement profiter d’un véritable univers global. Une fois n’est pas coutume, lumière sur 2 de ces concepts en province

  • Ouimum’s, à Marseille, véritable concept store dédié à la femme enceinte et aux mamans qui en un seul lieu trouvent une boutique (puériculture, déco, jouets, vêtements), un restaurant/salon de thé, des cours de gym dédiés, une garderie, des ateliers et anniversaires…mais surtout peuvent se retrouver et échanger dans un esprit club
  • L’Arène, à Aix, salle de sport qui propose sur 1200m2 6 espaces dont un spa, une salle bien-être, un bar, un espace de coworking et une boutique, le tout dans un esprit lounge

La multiplication des pop-up stores de marques montrent bien également qu’il faut sans cesse surprendre les clients, lui proposer des choses nouvelles, des nouvelles façons de consommer.

Mais parfois aussi on peut réussir sans « expérience »

Si l’on prend Picard par exemple, on ne peut pas dire que l’expérience en magasin soit inouïe, au contraire, le concept est plutôt froid -aussi bien au sens propre qu’au sens figuré- et pourtant l’enseigne a souvent été l’enseigne préférée des français. Parce que l’offre est unique et a su répondre en premier à un besoin client non assouvi par une autre enseigne.

Snack picard
Snack picard – Source photo Altavia Watch

Mais même Picard évolue puisque, depuis 2016, l’enseigne teste des espaces de restauration rapide dans ses magasins.

 

 

 

 

 

Et parfois, une expérience peut être décriée sur certains aspects et pourtant ne pas nuire à l’expérience globale :

labyrinthe IKEAc’est le cas d’IKEA à qui on reproche souvent d’imposer un parcours long et labyrinthique et pourtant la proposition de valeur de la marque est telle que cela compense le désagrément généré.

Les basiques avant tout

Bien sûr, proposer une expérience aussi mémorable soit-elle ne sert à rien si on n’a pas les bons produits, aux bons prix…etc… Et tout cela n’aura un effet positif sur les clients que si les irritants ont été levés et les basiques métiers respectés. C’est l’effet carré de chocolat (analogie chère à Guillaume Antonietti, fondateur de Côté Clients) : c’est sympa le petit chocolat avec le café, ça fait toujours plaisir mais si le café est infect, ce n’est pas ça qui vous fera revenir !

D’ailleurs, lorsque j’ai posé la question volontairement caricaturale « les magasins sont ils voués à disparaître ? » à Jean-Marc Megnin, directeur général de ShopperMind et auteur du blog Le Furet du retail, il m’a répondu :

« Ceux qui pensent encore que le modèle économique du commerce ne peut vivre que sur le schéma d’hier et le ‘’magasin’’ pour peu qu’il devienne ‘’expérientiel’’ continuerai à attirer des clients : OUI… car l’expérience ‘’émotionnelle’’ ne suffit pas »

 

Il faut donc faire les choses dans le bon ordre et ne pas forcément attendre un ROI immédiat. J’ai souvent vu des projets très intéressants d’un point de vue client et concept magasin ne pas se faire parce que cela représentait des m2 non rentables, plus générateurs de coûts que de profits. Je peux comprendre bien entendu cette logique d’autant plus dans une époque où le CA/m2 est de plus en plus difficile mais parfois le supplément d’âme d’une enseigne ne se quantifie pas. La question à se poser serait plutôt : en faisant ce projet, combien de clients supplémentaires vont venir ? Combien de clients vais-je fidéliser ? Et si je ne le fais pas, quel est mon manque à gagner ?

Et vous avez remarqué, nous n’avons quasiment pas parlé de digital mis à part pour les équipements vendeurs. En effet, la digitalisation du point de vente est bien entendu un des moyens de moderniser le commerce, de le rendre plus simple, plus fluide, plus rapide mais ce n’est pas l’unique moyen pour le valoriser.

Une chose est sûre, les magasins ne peuvent plus se contenter uniquement de vendre des produits…sinon les clients finiront par leur dire « désolé, vous n’avez pas assez d’expérience ! »

 

5 commentaires sur “Désolé, vous n’avez pas assez d’expérience !”

  1. Article hyper complet sur l’expérience client in store… Beau passage en revus des best practices.
    Merci Sophie.

    ps: j’ai adoré : « Picard »… »le concept est plutôt froid »

  2. Merci pour cet article qui pose bien les enjeux du retail et les pistes à mettre en œuvre pour apporter une VRAIE raison de se déplacer par rapport au service efficace mais souvent sans âme et sans véritable relation humaine qu’internet peut offrir. Une fois de plus ce n’est pas un modèle contre l’autre mais comment le premier peut se positionner astucieusement sur ce que le deuxième ne peut pas apporter et s’en inspirer pour le reste…

    1. Bonjour Nathalie,
      Merci pour votre retour !
      Ravie que mon article vous ait plu. Je suis avec attention ce que vous faites chez Picwik et trouve qu’enfin une enseigne de jouets a compris ce que les enfants et les parents en attendent ! Très bonne continuation !
      Sophie

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