Complémentarité du digital et du retail : quelles réelles attentes clients ?

Non ! Les clients ne veulent pas vivre la même expérience en magasin et sur internet !

Quand j’entends encore soutenir l’inverse en 2018, ça me fait bondir…ça me rappelle un temps, que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, où beaucoup fantasmaient sur le centre commercial virtuel et notamment celui du jeu Second Life en 2008 (NDLR : en écrivant cet article j’ai été  étonnée de voir que ça existait toujours…).

Certains retailers s’y étaient d’ailleurs laissés tenter, Boulanger par exemple, mais même si ça peut fait sourire aujourd’hui, on ne peut pas leur reprocher d’avoir essayé : le Test & Learn est aujourd’hui la clé du succès de nombreuses entreprises.

Boulanger implante un magasin virtuel dans second life - retail et digital
Boulanger implante un magasin virtuel dans second life

Boulanger implante un magasin virtuel dans second life

Mais déjà à l’époque, cela ne semblait pas pertinent surtout avec la technologie d’alors qui n’est pas la réalité virtuelle qu’on connaît actuellement.
Cela veut-il dire qu’aujourd’hui cela pourrait marcher ?
Je n’y croyais déjà pas à l’époque et je n’y crois toujours pas aujourd’hui car je suis persuadée qu’on ne recherche pas la même chose en ligne qu’en magasin.

 

Ça me fait penser à la pub très drôle de Google Analytics, qui montre ce que pourrait être un achat internet dans la vie réelle.

On n’accepte pas les mêmes choses venant d’un site e-commerce que dans la vraie vie et réciproquement.

Par exemple, il y a quelques années, lorsqu’on interrogeait les clients, ils se déclaraient plus tolérants face aux erreurs d’un vendeur en magasin que celles d’un site internet : l’humain aurait en effet droit à l’erreur, la machine non.
Cela a un peu évolué aujourd’hui car depuis ce sont les pure players (et notamment Amazon) qui ont fixé de nouveaux standards de performance en matière d’efficacité et obligent les retailers physiques à devenir meilleurs.
Et en ce qui concerne les vendeurs, les clients sont de moins en moins indulgents car étant devenus de plus en plus experts grâce à leurs recherches sur internet, ils en attendent beaucoup plus de leur part : à la fois de l’efficacité et de la rapidité comme sur internet mais aussi du conseil et de la valeur ajoutée… et bien sûr avec le sourire en prime !

36% des français veulent rendre le sourire obligatoire pour tout vendeur qui s’adresse à un client

OpinionWay pour Keyneosoft « Tous commerçants, les Français se rêvent directeurs de magasins» – Septembre 2016

Le digital et l’insolente croissance du e-commerce et des pure players en particulier oblige les retailers physiques à se réinventer, à se digitaliser pour mieux répondre aux attentes des clients

Jusqu’à la fin des années 2000, les retailers n’ont pas su saisir l’ampleur de la révolution qui était en train de se mettre en place avec internet et le e-commerce, les pure players en ont alors profité pour se développer et prendre des parts de marché.
Chassés sur leurs propres terres et craignant pour leur survie, les enseignes brick&mortar (1) ont alors commencé une course de rattrapage en créant tout d’abord des sites marchands en parallèle de leurs magasins : le multicanal était né.

Etude BVA 2013 : 40% des commerçants estiment que le e-commerce est une menace
Etude BVA 2013 : 40% des commerçants estiment que le e-commerce est une menace

Mais les problèmes ont surgi de toutes parts : en interne où les magasins ont commencé à se plaindre de la cannibalisation de leur CA par celui du site web ; et en externe, les clients commençaient à ne plus comprendre pourquoi les choses étaient différentes en ligne et en magasin (prix, services…).

 

Progressivement, les retailers se sont mis à digitaliser leurs points de vente, confondant parfois la multiplication d’écrans et de technologies gadgets avec un véritable intérêt pour le client. Un exemple parmi d’autres : les cintres connectés de C&A Brésil qui donnaient en temps réel le nombre de likes du vêtement choisi. Ludique certes…de là à être utile ?

Ou bien créant des concepts pour des flagships (2) impossibles à démultiplier d’un point de vue coût à l’ensemble de leur réseau.

On a fait de beaux magasins, modernes, bien animés et stimulants grâce au multimédia mais on a oublié de penser à quoi ça pouvait servir pour le client.

Alors qu’est-ce qui dans la digitalisation du point de vente fonctionne aujourd’hui ?

La tablette vendeur que l’on trouve chez Apple, Darty, Cultura ou Sephora.

Pourquoi ? Parce qu’elle permet une nouvelle relation entre le client et le vendeur. Le vendeur dispose de plus d’informations sur les produits et, selon les cas, aussi sur le client en face de lui. Il est ainsi en mesure de mieux le renseigner. Il peut également lui proposer une offre plus large que celle disponible en magasin. Avec le paiement mobile, il va pouvoir rester avec le client jusqu’à la fin de la transaction, levant ainsi l’irritant de l’attente en caisse.

Ce dispositif fonctionne parce qu’il est pensé « client ». Et c’est là tout l’enjeu des prochaines années : repenser le commerce en fonction de l’attente réelle du client, selon son type d’achat et son parcours.
Le client est déjà omnicanal, le commerce pas encore.

Il ne s’agit pas seulement de mettre du digital dans le magasin, comme le sous-entendrait l’utilisation du terme phygital (3), mais de créer un nouveau format de magasin hybride où l’on prendrait le meilleur des 2 mondes : l’efficacité, la rapidité du digital avec le sensoriel, l’émotionnel, l’humain du magasin physique.

Par exemple, il m’arrive d’entendre qu’on oppose vendeur et chatbot, craignant pour le remplacement de l’un par l’autre, s’alarmant de la fin de la relation client humanisée.
Mais pourquoi les opposer ?
Quand j’ai besoin d’avoir une information rapide comme des horaires, une adresse ou toute autre question simple à traiter (FAQ), je préfère demander au bot qui, en un clin d’œil, va me répondre ou me trouver la réponse dans le site. Cela m’évite d’avoir à téléphoner à un centre d’appels, saisir des chiffres, des étoiles et des dièses ou de devoir répéter la phrase clé  jusqu’à ce qu’elle soit comprise avant d’attendre, au son des 4 saisons de Vivaldi (dans le meilleur des cas), que l’on daigne me répondre. Caricature ? A peine…!
En revanche, quand j’aurai besoin d’un vrai conseil d’expert, je serai bien contente de trouver un vendeur en chair et en os avec qui échanger.

Quand on dit que les clients veulent la même chose en ligne qu’en magasin :

  • c’est d’abord sur l’offre produits/services et les prix : le client ne comprend plus aujourd’hui les disparités entre site web et magasin. Il doit pouvoir passer de l’un à l’autre sans problème. Cela peut paraître une évidence pour les professionnels du retail marketing, il en est tout autre dans la réalité.
    Par exemple, la livraison à domicile : comment expliquer qu’en ligne cela soit gratuit et que ce soit payant en magasin ? Et quant aux retours produits, comment ne pas accepter en magasin, ceux des achats faits en ligne ? Je pourrais multiplier les exemples à l’envi… Oui il y a des contraintes, oui il y a des magasins franchisés…mais pour le client, il n’y a qu’une seule et unique enseigne/marque et elle doit être cohérente sur tous ses canaux. Il se fiche des considérations d’arrière-boutique !
  • mais c’est aussi sur la dimension fonctionnelle de l’acte d’achat :
    • trouver facilement les produits et les bonnes informations (comme sur une fiche produit) : bien sûr le digital peut aider avec des vidéos par exemple mais un bon merchandising classique peut déjà bien orienter le client et l’aider à choisir. Décathlon & Leroy Merlin sont des références en la matière.
    • disposer immédiatement du produit : si on vient en magasin, souvent, c’est pour repartir avec son produit. Sur ce point, la technologie permet de meilleurs réassorts.
      Exemple : le robot Bossanova qui automatise les inventaires 
    • payer rapidement : c’est là que sont intéressants tous les systèmes d’encaissement mobile (ex Apple), les caisses automatiques, les scannettes (hypermarchés), les applis (Monop Easy), les paniers/caddies connectés (Shell), jusqu’aux systèmes sans caisse (Amazon Go)

35% des Français généraliseraient les caisses automatiques ou libre-service et plus d’un quart d’entre eux (27%) investiraient dans des solutions d’encaissement pour les vendeurs en rayons, en complément ou à la place des caisses classiques

OpinionWay pour Keyneosoft « Tous commerçants, les Français se rêvent directeurs de magasins» – Septembre 2016

Les enseignes l’ont maintenant compris, le digital sert tout d’abord à supprimer les irritants (attente en caisse, rupture de stock…).

Le digital coûte cher, il faut donc savoir prioriser : inutile de multiplier les technologies innovantes si l’on ne respecte pas les basiques en magasin. Parfois, on fait de l’effet waouh mais on oublie le cœur du métier du commerçant.

Repenser le commerce omnicanal en partant du client

Cela veut dire identifier :

  • Le stade du processus d’achat : le client est en phase
    • de recherche d’informations : sur le site internet, il va comparer les prix, les caractéristiques des produits, les avis clients… En magasin, il viendra toucher/tester les produits, demander conseil au vendeur
    • d’achat : une fois sa décision prise, il voudra aller vite, ce qui nous ramène à la problématique de l’encaissement qu’il faut fluidifier le plus possible
    • de post-achat  : s’il s’agit d’un SAV, il sera content de pouvoir choisir entre les différents canaux de relation client qui lui sont proposés : téléphone, chat, réseaux sociaux ou service en magasin. Là encore, on peut innover avec le digital : Darty par exemple avec son bouton simplifie l’accès au SAV. S’il s’agit d’un retour, le client voudra pouvoir retourner indifféremment en magasin ou par envoi postal.
  • Le type d’achat :
    • Achat récurrent ou achat corvée : le client ne veut pas vivre une expérience, commander en ligne deviendra la norme. La grande distribution française l’avait bien compris avant tout le monde en inventant le drive. Et c’est aussi ce qu’a très bien compris Amazon avec ses dash buttons et ses formules d’abonnement.

      amazon dash buttons
      amazon dash buttons
    • Achat impliquant ou non impliquant : on n’a pas le même parcours client, ni le même besoin de conseil, ni le même besoin de voir/toucher/essayer le produit selon qu’on achète un ustensile de cuisine ou un canapé par exemple.
    • Achat planifié ou d’impulsion : dans les enseignes de meuble & déco, on connaît bien ça.  Les clients viennent s’informer sur des meubles et en même temps, lors de leur parcours, vont craquer pour de petits objets de décoration qu’ils auront vus en situation dans le magasin et pour lesquels ils n’étaient pas venus. Cet achat coup de cœur est beaucoup plus difficile à réaliser en ligne.
  • Le besoin d’immédiateté ou non : acheter en ligne, c’est souvent plus rapide qu’en magasin mais on a rarement le produit tout de suite… Même si cela est de moins en moins vrai avec les livraisons express le jour même. En tant que retailer, on fera en sorte d’indiquer sur son site internet, la disponibilité du produit en magasin. On pourra proposer la réservation en ligne et on favorisera le click & collect dans un délai raisonnable (1h ou moins). Par ailleurs, en magasin, on s’assurera d’avoir le stock suffisant pour les autres clients.
  • Seul ou à plusieurs : le shopping en ligne est souvent un « plaisir solitaire ». Avez-vous en effet essayé d’acheter quelque chose sur internet à plusieurs devant l’écran ? Pas très pratique… Alors même si la promenade shopping du samedi en famille peut parfois virer à la corvée, cela reste tout de même un moment sympathique et parfois indispensable lorsque l’achat concerne toute la famille (équipement de la maison par exemple).

D’ailleurs, d’après l’étude Retailoscope d’Odoxa, 23% des français déclarent aller dans les centres commerciaux  juste pour flâner ou avoir un moment de convivialité en famille ou entre amis (et même  33 % chez les 18-24 ans).

Cette question de la complémentarité du digital et du retail physique en fonction du parcours client renvoie alors à la question fondamentale du rôle des magasins

Commencent ainsi à apparaître quelques concepts hybrides :

  • Des magasins showroom où l’on voit des produits que l’on ne peut commander qu’en ligne : c’est souvent le cas des pure players qui ouvrent des magasins physiques comme Made.com ou Miliboo. Mais les retailers physiques testent aussi ce type de concept en parallèle de leurs magasins traditionnels : ainsi on peut évoquer le nouveau show room de Maisons du Monde,  le nouveau concept Décathlon et plus récemment Zara, qui profite d’une rénovation magasin pour créer un pop up store  connecté
  • Des magasins où les produits sont disponibles en stock sans être exposés : c’est le cas du concept Undiz Machine qui expose dans sa boutique un assortiment réduit mais propose l’intégralité de son catalogue via des bornes de commande et une livraison immédiate via des tuyaux pneumatiques dignes du film Brazil de Terry Gilliam

Cet exemple montre que le digital, outre son côté ludique pour le client, permet de réduire les coûts en réduisant les surfaces de vente tout en offrant le même choix de produits qu’en ligne.

Il existe encore très peu de magasins hybrides mais on constate déjà 2 types d’approches :

  • L’expérientiel où l’on va stimuler les sens des clients pour leur donner envie d’acheter (théâtralisation, interaction produits, animations…)
  • La rationalisation ou l’efficacité opérationnelle qui pourrait être finalement la bonne si l’on en croit ce sondage Ipsos où seulement  

6% des consommateurs mettent aujourd’hui le plaisir comme première motivation de la fréquentation des points de vente physiques

Et si une fois pour toutes, on arrêtait enfin d’opposer les deux afin de créer un magasin qui soit à la fois plaisant et efficace ? Cela viendra-t-il une fois de plus des géants du web ? Amazon, avec son rachat de Whole Foods qui semble intégrer une expérience de commerce plus émotionnelle et Alibaba, avec son concept Hema Fresh, réussiront-ils à allier les 2 mondes ?


(1) brick&mortar : expression qui désigne les enseignes ayant uniquement des points de vente physiques

(2) flagship : magasin emblématique, porte-drapeau et vitrine d’une marque

(3) phygital : mot né en 2013 de la contraction des mots physique et digital pour désigner la digitalisation des points de vente


Sources :

LSAE-Commerce magazineSiècle digitalConnected Stores – 01net

Etude OpinionWay pour Keyneosoft « Tous commerçants, les Français se rêvent directeurs de magasins» – Septembre 2016

Etude Odoxa pour Hammerson « Retailoscope 2017 : les français et le shopping » 

 

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