Ne pas avoir de site marchand, un choix ?
A l’heure où la majorité des enseignes traditionnelles multiplient les initiatives pour répondre aux attentes d’omnicanalité des clients et concurrencer les pure players, d’autres ont fait le choix (?) de ne pas avoir de site marchand. Je dis « le choix » car en 2018, ce n’est pas possible de penser qu’une enseigne ne s’est pas mise au eCommerce autrement que par choix. Malgré tout, mon interrogation subsiste : en effet, comment ne pas offrir à ses clients la possibilité d’acheter en ligne ses produits alors que le eCommerce croît de 14% en 2017 et le commerce physique lui est à la peine avec +1,5% ? Certains me diront oui mais le volume des transactions en ligne est faible comparé à celui en physique… D’accord, mais pourquoi se couper d’une partie du gâteau ? De certains clients sans doute aussi… Et pourquoi surtout ne pas proposer aux clients d’avoir le choix ?
Je ne nie pas les difficultés à monter un site eCommerce digne de ce nom, les contraintes techniques, logistiques et structurelles pour certaines enseignes (réseaux d’indépendants ou franchises par exemple où c’est moins simple).
Je pense aussi qu’un site internet peut avoir d’autres fonctions que la vente de produits : site vitrine de la marque, mise en avant produits, idées/conseils, outils de configuration, forums…
Mais aujourd’hui, en tant que client, comment ne pas rester sur sa faim quand on navigue sur un site et qu’il manque le bouton « ajouter au panier » ? On ne le répétera jamais assez, la concurrence est à 1 clic et le consommateur est de plus en plus volatile.
Une question de priorité ?
L’exemple qui m’a le plus frappée dernièrement c’est celui de Primark. Cette enseigne de PAP low cost qui a bousculé le marché de la mode à bas prix et qui connaît une croissance fulgurante n’a pas de site marchand ? Les dirigeants ont même assumé ce choix au regard du petit prix de leurs vêtements : même avec des mégastores dans des emplacements n°1 à loyers élevés, le modèle économique serait plus rentable qu’en ligne où le coût logistique serait trop important. L’enseigne a cependant développé une plateforme sociale Primania pour susciter l’engagement autour de la marque et donner envie de venir en magasin acheter les produits. Cela compense-t-il le manque à gagner des ventes en lignes sachant que dans la moyenne des enseignes de PAP, elles représentent environ 17% des ventes totales du PAP en France ?
Peut-être que Primark a encore une valeur ajoutée telle qu’elle suffit à faire déplacer suffisamment de clients en magasin. C’est en tous cas ce qu’on peut penser quand on voit les files d’attentes pour entrer dans le magasin. Mais pour combien de temps encore ?
Peut-être que Primark attend d’atteindre une certaine maturité économique et un maillage plus important pour ajouter le canal web à sa stratégie commerciale ?
Et pourtant, la rareté sur le territoire fait que cela donne envie à ceux qui n’en ont pas à côté de chez eux (j’ai connu ça chez IKEA quand il n’y avait encore qu’une dizaine de magasins au début des années 2000, on recevait bon nombre de demandes d’ouverture dans des villes où IKEA n’était pas encore implanté) donc si les clients ne peuvent venir à toi pourquoi ne pas venir à eux avec un site marchand ?
Un choix de positionnement ?
Je m’interroge également sur une autre enseigne sans site marchand : Zodio, l’entité déco du groupe Adéo (groupe de l’Association Familiale Mulliez qui détient notamment Leroy Merlin).
Clairement, le site a une vocation communautaire avec le blog « la zodiosphère », les recettes de cuisine, les idées déco et de DIY.
Le site a aussi une fonction web-to-store : il met en avant les collections de saison et on peut consulter la disponibilité des produits en magasin. Mais on ne peut pas découvrir l’intégralité du catalogue produit proposé par l’enseigne. On peut aussi consulter le calendrier des ateliers et réserver en ligne, seule chose qu’on peut d’ailleurs mettre dans son panier d’achat.
Certes le modèle économique des sites de décoration est complexe (articles fragiles, faible valeur faciale vs coût logistique…) mais tout comme Primark, Zodio a peu de magasins et elle aurait tout à gagner à multiplier ses canaux de vente, d’autant plus que bon nombre de pure players et d’enseignes click&mortar jouent sur le même terrain de jeux.
La problématique des produits à faible valeur faciale
Dans le secteur bazar/discount, il y a également peu de sites marchands à part les leaders Gifi, Foir’Fouille et Centrakor. Est-ce dû uniquement à la faible valeur faciale des produits ? Au fait que soit souvent des franchisés ou indépendants ?
Et même parmi les nouvelles enseignes discount chic ou bazar moderne tels Action, Flying Tiger ou Sostrene Grene qui redynamisent ce secteur, aucune n’a de site marchand mis à part Hema.
Est-ce parce que les achats fait dans ces magasins sont des achats d’opportunité, d’impulsion et que cela est moins facile à susciter en ligne ? Je me souviens d’ailleurs d’une étude client que j’avais faite il y a quelques années pour une enseigne discount, où l’on posait la question de la raison de visite en magasin, un grand nombre de clients répondaient :
« je n’ai rien de précis à acheter, je viens voir ce qu’il y a de nouveau et me laisser tenter »
Mais, même si le site marchand ne paraît pas évident pour ce type de produit, ce type d’achat, il faut rester vigilant car des pure players tels Wish sont en train de prendre des parts de marché dans ce secteur, sans parler d’Amazon bien sûr.
La problématique des produits complexes
A une certaine époque, on pensait que certains produits ne se vendaient pas sur internet et donc que ça n’était pas forcément utile d’avoir un site marchand. Parmi eux, on trouvait les cuisines. Il est vrai qu’un achat de cuisine est long, complexe et parfois anxiogène pour le client ce qui nécessite l’accompagnement d’un vendeur/conseil. Mais depuis, on a vu apparaître des pure players cuisine comme Oskab par exemple qui a choisi de mettre des conseillers en ligne qui aident les clients en live à configurer leur cuisine. Mais les enseignes traditionnelles (sauf IKEA qui avait d’ailleurs mis du temps à se mettre au eCommerce de manière générale) restent monocanal et utilisent leur site internet comme générateur de leads.
Certes, le poids des ventes en ligne de cuisine reste faible mais encore une fois c’est se couper d’une partie de clientèle potentielle.
Certaines enseignes de mobilier, notamment haut de gamme comme Roche Bobois, ont le même type de réflexion et utilisent leur site uniquement comme vitrine de la marque.Son concurrent historique Ligne Roset/Cinna a quant à lui sauté le pas dès 2016 en lançant 2 sites marchand pour, selon Michel Roset, le directeur général du groupe :
« ne pas perdre les volumes de vente croissants effectués dans le eCommerce, et pour stimuler notre présence sur les réseaux sociaux »
Dans ce secteur aussi, la concurrence fait rage notamment avec l’arrivée de pure players qualitatifs tel Made.com
Un choix économique ?
Souvent, on explique le non investissement dans un site de eCommerce pour des raisons de viabilité du modèle économique mais un site marchand peut aussi permettre de réduire certains coûts ou d’en rentabiliser d’autres : ainsi par exemple, un site marchand accessible en magasin peut permettre des extensions de gammes et donc à la fois augmenter le CA des petits magasins d’une enseigne multi-formats et réduire éventuellement la surface de certains magasins moins rentables. Cela peut aussi permettre de pallier les ruptures de stocks et ne pas perdre de vente bêtement en magasin. Un site marchand, s’il propose le click&collect, peut aussi créer du trafic vers le magasin.
Il y a évidement plein d’avantages à avoir un site marchand pour une enseigne mais ce n’est pas l’objet de cet article.
Les clients sont omnicanal, pourquoi pas vous ?
On peut toujours trouver des explications rationnelles et recevables au fait qu’une enseigne n’a pas de site marchand mais combien de temps tiendront ces enseignes face à la concurrence des click&mortar & pure players ? Et combien de temps les clients resteront fidèles à ces enseignes ? Car comme le résume si bien Christophe Gazel, directeur général de l’IPEA*,
« Ce n’est pas tenable de se passer d’eCommerce. Le consommateur doit avoir le choix du tuyau ».
Dans les années 60, le gourou de la grande distribution, Bernard Trujillo répandait sa célèbre formule « no parking, no business », aujourd’hui sans doute qu’on pourrait le remplacer par « no eCommerce, no business » !
*IPEA : Institut de Prospective et d’Etudes de l’Ameublement : http://www.ipea.fr/
Source : https://www.lsa-conso.fr/quelles-enseignes-se-passent-encore-d-e-commerce,269992
Effectivement, il est curieux de voir que des enseignes ne sont pas (encore) présentes sur le net et qu’elles n’ont pas placé leur activité au coeur du réacteur, là où se trouvent les clients. Il faut peut-être laisser le temps au temps….Affaire à suivre !